Un Madrid DALInien

Catégorie: Art & culture 1 avril 2013

Monument à Newton (1986) et Le grand masturbateur (1929) © Salvador Dalí. Fundació Gala-Salvador Dalí. VEGAP, Madrid, 2012.

Du 27 avril au 2 septembre, le Musée Reina Sofía accueille une grande exposition sur Salvador Dalí. À cette occasion, on m’a demandé d’écrire un post pour décrire les péripéties du génie excentrique et concentrique, comme il aimait se définir, dans la capitale, où il a vécu entre 1922 et 1926.

Au début, je pensais énumérer les endroits à visiter pour connaître la facette la plus dalinienne de Madrid, mais cette liste serait trop longue. Alors j’ai décidé de commencer par la fin. En 1986, le Monument à Newton se dressait enfin sur la Plaza de Salvador Dalí, à côté du Palais des Sports. En raison de son état de santé, l’artiste n’a pas pu assister à l’inauguration. Toutefois, il a envoyé un télégramme de remerciements qui s’achevait sur ces mots : « Vive les Madrilènes ! ». Quelques mois auparavant, le maire, Enrique Tierno Galván, avait rendu visite à l’artiste à Torre Galatea. La rencontre fut si amicale qu’il revint à Madrid avec deux cadeaux : une canne qui aurait appartenu à Victor Hugo et le fameux monument duquel je vous parlais, conçu sous la supervision et d’après les esquisses de Dalí. Les journaux de l’époque révèlent que leur discussion avait porté sur Ramón Gómez de la Serna, les réunions littéraires du Café del Pombo, et Federico García Lorca. Cela faisait 60 ans que Dalí avait quitté la ville, mais il se souvenait encore de ces années folles (les années vingt) qu’il avait vécues à Madrid.

Cette histoire commence en 1921 quand, en compagnie de sa sœur et de son père, qui était à moitié convaincu par le professeur Nuñez du talent de son fils, l’artiste arrive à Madrid pour passer l’examen d’entrée de l’École des Beaux-Arts de San Fernando. Malgré les dimensions hors normes de son dessin, le jury fut séduit et décida de l’admettre. Dès lors, l’audace du jeune amateur d’avant-garde se verrait sans cesse confrontée à la rigueur de la discipline académique de l’école. Bien des années plus tard, il écrirait dans son Journal d’un génie : « Quand j’avais vingt ans, j’ai fait le pari de remporter le grand prix de peinture de l’Académie Royale de Madrid avec un tableau que je peindrais sans que mon pinceau ne touche à aucun moment la toile. Évidemment, j’ai gagné le prix. Le tableau représentait une jeune fille nue et vierge. Je me suis placé à plus d’un mètre du chevalet et j’ai jeté les couleurs pour qu’elles éclaboussent la toile. C’est étrange, mais je n’ai pas eu à déplorer une seule tache. Chaque éclaboussure était immaculée ». Apparemment, à l’école, il ne s’intéressait que pour les leçons d’un professeur qui assistait aux cours vêtu d’une redingote, avec une cravate ornée d’une perle noire, et qui corrigeait les travaux de ses élèves avec des gants blancs pour ne pas se salir.

Les Ménines (c.1656) de Velázquez et la Residencia de Estudiantes

À cette époque, Dalí vivait à la Residencia de estudiantes, qui accueillait alors les enfants de familles aisées qui aspiraient à étudier à Madrid. Là-bas, il a rencontré Luis Buñuel, Federico García Lorca et Pepín Bello, qui le décrivaient comme un jeune homme timide et introverti, qu’ils surnommaient « el polaco » (surnom donné aux Catalans). En leur compagnie, il assisterait aux soirées jazz du Rector’s Club de l’Hôtel Palace. Dans La Vie secrète, Salvador Dalí se décrit lui-même à cette époque : « J’avais l’air d’un acteur déguisé avec ma canne à pommeau doré, ma veste en velours, mes cheveux de femme et mes pattes qui m’arrivaient au milieu des joues »… « j’avais horreur des pantalons longs et j’ai décidé de porter des shorts avec des chaussettes et même, parfois, des guêtres. Les jours de pluie, je portais une cape imperméable qui traînait presque par terre. Aujourd’hui, je réalise que cette tenue était fantastique. Les gens ne se privaient pas d’en parler en ma présence et, à chaque fois que j’entrais et que je sortais de ma chambre, les curieux se pressaient pour me voir passer tout fier la tête haute ». Aujourd’hui la Residencia de estudiantes est un espace culturel intéressant qui se consacre à diffuser la culture des trente premières années du XXe siècle, une époque connue sous le nom d’âge d’argent. Il offre des bourses d’hébergement aux jeunes chercheurs, artistes et poètes.

À Madrid, Dalí a pratiqué le style pointilliste, cubiste et divisionniste. Il a évoqué un concept clé pour sa génération, « le putréfié », qui se réfère à tout ce qui est prétentieux, mièvre et grandiloquent. Il n’avait pas encore connu le surréalisme. Ses œuvres étaient à cette époque fortement influencées par Juan Gris, Rafael Barradas et Giorgio di Chirico. Autoportrait cubiste (1923), du Musée Reina Sofía, et Pierrot jouant de la guitare, de la Collection Thyssen-Bornemisza, sont deux œuvres bien représentatives de cette période. Cependant, le musée le plus dalinien de Madrid ne conserve aucune de ses œuvres. Pour mieux comprendre ce génie excentrique et concentrique, il faut se rendre au Musée du Prado. Dalí, surréaliste, radical, pionnier du pop et de la performance artistique, qui aimait tant passer à la télé et faire de la publicité, aspirait véritablement à devenir un grand classique. Les œuvres de ce passionné de peinture Renaissance et baroque recèlent de nombreux clins d’œil et références à Raphaël, Zurbarán et Vermeer. Un jour, après une visite du musée avec son ami Jean Cocteau, les journalistes leur ont demandé quelle œuvre ils sauveraient des flammes si jamais un incendie venait à se produire. Jean Cocteau, sur un ton provocateur, répondit : « le feu ». Dalí, qui admirait profondément Velázquez, a choisi l’air de la peinture, et en particulier l’air contenu dans Les Ménines.

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