Madrid, dans les « coulisses » du pouvoir

Catégorie: Art & culture, En famille 21 octobre 2016

Le Congrès des Députés, à Madrid. Un bel édifice de style néo-classique, construit entre 1843 et 1850.

En ces temps où la politique espagnole fait parler d’elle, faisons un tour – semé d’anecdotes – dans le barrio de las Cortes. Épicentre de l’activité gouvernementale espagnole, c’est aussi un quartier éminemment culturel et touristique avec la présence des grands musées, d’édifices historiques emblématiques, de luxueux palaces et de ruelles commerçantes agréables.

L’un des deux lions, fabriqués avec le bronze fondu d’anciens canons de la guerre d’Afrique, qui gardent l’entrée du Congrès.

« Quand on n’ose pas être intelligent, on devient politicien« , aurait dit le dramaturge espagnol Eduardo Jardiel Poncela (Madrid, 1901 – 1952), avec son légendaire sarcasme. Bien… Allons donc voir où se déroule au quotidien l’activité parlementaire à Madrid. Le Congrès des Députés (la Chambre basse des Cortes Generales) est devenu, par métonymie, le nom du Palacio de las Cortes (palais des Cours) qui en est le siège. Ce chef-d’œuvre d’architecture néo-classique fut commandé par la reine Isabel II à l’architecte Narciso Pascual y Colomer et inauguré en 1850. Au sculpteur Ponciano Ponzano y Gascón on confia la réalisation de deux lions (baptisés Daoíz et Velarde, en hommage à deux héros de la guerre d’Indépendance) qui allaient flanquer l’entrée du Palais tout en donnant à l’édifice une image de solennité et de puissance. Sauf que, par manque de moyens, les lions furent d’abord fabriqués en plâtre avec une couche de peinture imitant le bronze. Au bout de quelques années soumis aux intempéries, les lions avaient perdu de leur superbe… Ce fut au tour du sculpteur José Bellver y Collazos de faire une deuxième paire de lions dont le style (avec des crinières excessivement apprêtées comme des perruques de gentilhommes) déplut aux madrilènes. Le troisième et actuel couple de lions (de nouveau, l’œuvre de Ponzano y Gascón) fut le bon. Or, il y a quelques années, on découvrit qu’à l’un des deux augustes animaux manquaient… les « bijoux de famille » ! Cette absence n’a toujours pas été élucidée : erreur, oubli ou simplement manque de matériau, vu que les lions furent fabriqués avec le bronze fondu de canons confisqués à l’ennemi après la victoire des troupes espagnoles à Wad-Ras (guerre d’Afrique).

Juste en face du Congrès des Députés, le luxueux hôtel Villa Real et la Plaza de las Cortes où trône une statue de Cervantes.

L’intérieur du Congrès des Députés se visite gratuitement et sans réservation, tous les jours (sauf le dimanche), en compagnie de guides spécialisés. Il vaut donc mieux ne pas arriver au dernier moment, au risque de se voir refouler à l’entrée, car les visites (qui ont beaucoup de succès) n’admettent pas plus de 25 personnes à chaque fois. Premier arrivé, premier servi. La prise de photos n’est pas autorisée à l’intérieur (pour des raisons de sécurité), mais pour ceux qui auraient envie d’avoir un avant-goût de la visite, le site web du congrès propose une visite virtuelle en images. Lors de la visite, qui dure 30 minutes, on peut notamment voir, dans le Salon des Pas Perdus, une magnifique table en bois de noyer, ornée de feuilles d’or et de pierres semi-précieuses (cadeau des tsars de Russie à la reine Isabel II), ainsi que les portraits des hommes politiques espagnols les plus importants du XIXème siècle. La pièce de plus grande valeur du congrès est la fameuse horloge astronomique, construite par l’horloger suisse Albert Billeter en 1857. Unique au monde, cette prouesse de mécanique (qui ne s’est jamais arrêtée en 159 ans d’existence) rassemble, dans une même caisse en bois de rose, ornée d’incrustations de nacre, une sphère avec l’évolution du soleil, de la lune et de la terre en fonction des saisons, un calendrier, une sphère qui indique l’heure du lever et du coucher du soleil, l’heure de Madrid et de vingt autres villes dans le monde, une représentation de la voûte céleste, un thermomètre, un baromètre, un hygromètre… On accède enfin à l’hémicycle parlementaire où siègent actuellement 350 députés espagnols de 7 partis politiques. La superbe voûte, peinte par Carlos Luís de Ribera, représente, entre autres, des allégories des « Vertus d’Espagne » (celles que se devait d’avoir tout bon député siégeant dans cet hémicycle) et des personnages emblématiques de l’histoire de l’Espagne. La voûte porte encore les traces des balles tirées lors de la tentative de coup d’État par les militaires du 23 septembre 1981.

Le salon La Rotonda du luxueux The Westin Palace, surmonté d’une verrière aux dimensions exceptionnelles.

Alors que les députés se trouvaient pris en otage dans l’hémicycle par les colonels putschistes exaltés, un groupe de secrétaires d’État se rassembla, pour former un gouvernement d’urgence, dans l’un des salons du prestigieux hôtel Palace (aujourd’hui, The Westin Palace), situé à quelques pas du Congrès des Députés. C’est l’un des hôtels les plus luxueux de Madrid et d’Europe ! Inauguré en 1912, il a été témoin de quelques-uns des événements les plus retentissants de l’histoire madrilène et a accueilli des célébrités de tous les horizons, y compris, dit-on, la fameuse espionne Mata-Hari qui y aurait séjourné incognito.  Je m’y rends, moi aussi, en attendant l’heure de ma visite du Congrès; on me laisse accéder au salon du restaurant La Rotonda (surmonté d’une colossale verrière multicolore), malgré l’impressionnant déploiement, ce jour-là, d’un service de sécurité qui accompagne l’arrivée d’une équipe de joueurs de basket-ball américains. J’en aurai pour mes frais (7,50 euros un cappuccino), mais on est au Palace et cela vaut bien l’heure que j’ai passée dans le luxe ouaté de ce superbe établissement.

L’Ateneo Español, une vénérable institution culturelle libertaire, fondée en 1820.

Au numéro 21 de la Calle del Prado, on trouve une autre institution qui a eu son poids dans l’histoire politique madrilène : l’Ateneo Español. Cet édifice quelque peu austère, lui aussi de style néo-classique, accueillit dès les années 1820 la Société Patriotique et Littéraire (rebaptisée plus tard Athénée Scientifique, Littéraire et Artistique). Elle fut fondée par l’élite intellectuelle et politique espagnole d’alors, dans le but de diffuser les idéaux du Triennat Libéral et débattre pacifiquement sur des questions de Droit, de politique, d’économie et de toute matière qui fusse d’utilité publique. l’Ateneo était divisé en chaires publiques qui permettaient aux citoyens d’étudier gratuitement les langues, le Droit, les mathématiques, l’économie, l’Histoire, la physique ou encore la mécanographie. Aujourd’hui, l’Ateneo Español maintient sa tradition de la tertulia (le débat citoyen) avec des conférences, des expositions d’art et des événements divers. L’un des trésors de l’Ateneo est son impressionnante bibliothèque d’époque qui abrite une collection unique de livres et de publications du XIXème siècle et premier tiers du XXème siècle, en plusieurs langues. Bien que réservée aux membres de l’Ateneo, la bibliothèque offre aussi des forfaits au public (6 euros pour le week-end, par exemple). Il y a aussi une agréable cafétéria où j’aime bien donner rendez-vous à mes amis autour d’un verre accompagné de tapas.

Détails de l’intérieur de l’Ateneo.

En remontant la calle del Prado, on débouche sur l’une des plus jolies places de Madrid : la Plaza Santa Ana. Elle est flanquée d’un côté par le bel hôtel Me Madrid Reina Victoria (de la chaîne Melià), dont la façade immaculée, de style moderniste, illumine la place. Le Teatro Español lui fait face: c’est l’un des plus anciens de Madrid, à l’origine un corral de comedias du XVIème siècle ! La place Santa Ana est réputée aussi pour ses brasseries historiques, notamment la Cervecería Alemana, mais aussi Naturbier. Pour la petite histoire, Naturbier fut fondé, à la fin des années 1980, par Jaime Tejada, un député d’origine galicienne, passionné de culture allemande. Il décida de recréer l’ambiance des brasseries typiques d’outre-Rhin, pour aller se détendre, avec ses collègues, après les sessions parlementaires au Congrès. Il y a encore quelques années (avant que la brasserie ne soit reprise par une célèbre marque de bière), on pouvait encore voir officier, dans la cave tout en briques au sous-sol, un véritable maître-brasseur originaire de Munich.

La plaza Santa Ana, avec l’hôtel Reina Victoria au fond.

La façade du Teatro Español.

Naturbier, inspirée des typiques brasseries allemandes.

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