À Madrid, comme dans d’autres métropoles, l’artisanat vit une mutation… Si certains vieux métiers, vaincus par l’obsolescence, sont en voie de disparition, d’autres se perpétuent ou retrouvent même un second souffle grâce à l’engagement de jeunes entrepreneurs, soucieux de se démarquer de l’uniformité du tout-industriel et de recréer un tissu humain autour de savoir-faire millénaires. Rencontre avec quatre de ces artisans madrilènes passionnés.
Dario le boulanger
« J’avais deux passions de jeunesse« , plaisante Dario Marcos tout en pétrissant énergiquement sa prochaine fournée de pains de seigle. « L’architecture et la cuisine« . À seulement 28 ans, ce « touche-à-tout » peut se vanter d’avoir assouvi les deux. Diplômé en architecture, il se passionne pour la tradition du pain et de la viennoiserie lors d’un séjour à Graz, en Autriche. Il se forme alors comme boulanger de façon autodidacte, « en suivant des cours et en lisant beaucoup« . Au départ, ce n’est qu’un hobby… Mais ses premières expériences professionnelles comme architecte ne le satisfont pas. Alors, il y a un an, il saute le pas et décide de s’installer… comme boulanger ! Grâce à une campagne de crowdfunding, il peut enfin ouvrir sa boulangerie, qu’il baptise Panádario, au nº25 de la Calle Alonso Heredia. Dès le départ, Dario s’oriente clairement vers un pain au levain artisanal et de qualité, élaboré avec des farines complètes, biologiques, de blé, de seigle et d’épeautre, « un pain à la saveur unique que les gens reviennent chercher, même s’ils le trouvent un peu cher. La culture du bon pain s’est perdue à Madrid, mais j’observe que les choses et les goûts sont en train de changer ». Je confirme, quand on a goûté au pain de Dario, on est prêt à faire des kilomètres pour se fournir !
Julio, le « botero »
Julio Rodriguez est un peu méfiant avec les interviews… Il n’aime pas qu’on le considère comme une « pièce de musée » et puis, comme il dit lui-même, « parler, c’est pas ça qui met du beurre dans les épinards« . Julio est, en effet, le dernier fabricant de « botas » (gourdes à vin en peau de chevreau) artisanales de Madrid. Dans sa petite échoppe au n°12 de la Calle del Águila, il représente la troisième génération de « boteros » de la famille Rodriguez. Y aura-t-il une relève ? Julio reste évasif… « J’ai du mal à envisager un avenir prospère pour les artisans d’aujourd’hui… Nous vivons dans l’ère du plastique et de la mécanisation tous azimuts ! Dans quelques années, quand bien même nous voudrions récupérer ces vieux métiers, il n’y aura plus de maîtres pour enseigner, car c’est la pratique qui fait le maître« . Lui-même répète des gestes qui remontent à des siècles et que son grand-père lui a enseignés : raser les peaux de chevreau, les imperméabiliser avec une poix faite d’huile et de résine de pin, « patiner » les gourdes (leur ôter le goût de la résine en y laissant macérer un mélange de vin et de Brandy pendant quelques jours)… Ces heures de travail sont cependant très appréciées et recherchées par tous ceux qui veulent une authentique bota de qualité qui durera des années. « La bota, on n’a rien inventé de plus pratique pour emporter un petit coup à boire en balade : c’est léger, hygiénique, ça ne se casse pas et, une fois vide, ça ne prend pas de place« , conclut Julio. Longue vie, donc, aux boteros comme Julio!
Luis le maroquinier
Luis Alonso est loin d’être aussi pessimiste que Julio Rodriguez. Ingénieur en biologie moléculaire, il a préféré reprendre les rennes de la maroquinerie familiale il y a quelques années, et la transformer en atelier-boutique baptisé Taller Puntera, au n°4 de la Plaza Conde de Barajas : « Dans le temps, Madrid était réputée pour sa maroquinerie, une tradition qui s’est perdue et que nous aimerions voir repartir« . Le quartier où se trouve Taller Puntera, autour de la Puerta del Sol, était justement un quartier de petits commerces traditionnels purement madrilènes (merceries, chapelleries, boutiques d’articles religieux, épiceries, bijouteries, bottiers…) qui ont pour la plupart fermé, entrainant avec eux la mort de tout un réseau de fournisseurs. « Ces commerces faisaient vivre la ville et contribuaient à créer une communauté solidaire et créative entre les différents métiers« , observe Luis. La jeune équipe de Taller Puntera est donc engagée, avant tout, dans une logique de développement durable et d’éthique sociale et environnementale, ne se fournissant que localement et utilisant en majorité des tannages végétaux. « Les gens donnent de plus en plus d’importance à la qualité et à la créativité des produits, à la façon dont ils sont faits et au fait de soutenir l’emploi local « . La recette à l’air de marcher : Taller Puntera ne désemplit pas. Le secret ? Reprendre les bases de classiques intemporels et leur donner un petit coup de modernité, comme ce joli sac rouge vif qui s’inspire de vieilles sacoches de selle en cuir brut patiné par l’usure. On espère bien que Luis et son équipe créeront l’émulation.
Vicky, la créatrice de cosmétiques éthiques
Sa passion pour la botanique et son caractère altruiste ont amené Vicky Hermida a abandonner sa carrière d’ingénieur paysagiste pour se lancer dans l’aventure d’Eco Eko il y a trois ans. « Quand l’idée de fonder Eco Eko a germé, j’étais déjà bien engagée dans la consommation responsable et écologique« , raconte Vicky. « Je faisais partie d’une AMAP et je fabriquais déjà, pour moi et mes amis, des cosmétiques à base de plantes biologiques et à partir de recettes que j’inventais grâce à mes connaissances en botanique et en naturopathie« . Ses amies l’encouragent alors à faire profiter un plus large public de ses créations. Trois ans après, Eco Eko dispose d’un coquet petit stand au marché de San Fernando et d’une sympathique équipe de six filles dynamiques, qui conçoivent une cosmétique « consciente », respectueuse de la santé de ses usagers et de la nature. Eco Eko choisit donc ses fournisseurs avec beaucoup de soin. « Pour l’instant, nous ne travaillons qu’avec un seul producteur, pour ce qui est de l’eau de rose biologique, la base de toutes nos crèmes. Il est d’ailleurs devenu un ami et chaque année, nous allons l’aider à récolter ses plantes« , explique Vicky. Eco Eko a développé plusieurs gammes de produits dont une spéciale pour les patientes de cancer. « La peau nous parle ; elle est aussi le reflet de nos états d’âme, c’est pourquoi nos formules contiennent des huiles essentielles, selon les principes ayurvédiques et d’aromathérapie« , explique Vicky.