À Madrid, comme dans l’ensemble de l’Espagne, la Semaine Sainte est sacrée, c’est le cas de le dire. Pour les confréries religieuses, c’est une année de travaux de charité et de fraternité qui culmine avec des processions spectaculaires destinées à commémorer la Passion du Christ. Pour les cuisinières professionnelles, comme Isabel, c’est l’occasion de me révéler le secret de ses délicieuses torrijas (l’une des traditions pâtissières de Pâques en Espagne). Et finalement, pour beaucoup, c’est le moment de prendre quelques jours de vacances bien mérités et de profiter du programme culturel organisé dans tous les quartiers à cette occasion.
Avant de mieux connaître Madrid et ses traditions, j’avais toujours pensé que la Semaine Sainte espagnole se limitait à des processions religieuses spectaculaires dans le sud du pays. Mais les fêtes religieuses de Pâques semblent connaître un « regain de foi » depuis quelques années dans la capitale. C’est en tout cas l’avis de Jesús Peña, le Majordome de la Confrérie « La Borriquita » (littéralement, la Petite ânesse), l’une des dernières à avoir été créées à Madrid, en 2011. Il m’annonce qu’une nouvelle confrérie est en voie de création, mais qu’elle ne participera pas aux processions de cette année : « elle n’a pas deux mois d’existence et il faut d’abord qu’elle passe par tout un processus qui inclut l’inévitable autorisation de l’archevêché. Ça peut prendre deux ans avant qu’une confrérie puisse participer aux processions de Semaine Sainte« .
Jesús me raconte que la Confrérie de La Borriquita fut créée par un groupe d’amis…sur Facebook ! Ils voulaient ressusciter une confrérie qui avait disparue depuis la guerre civile, celle qui incarnerait, lors des processions de la Semaine Sainte, l’entrée triomphale de Jésus-Christ à Jérusalem à dos d’âne. « Attention, l’âne est un animal noble« , tient à préciser Jesús. La confrérie de la Borriquita se caractérise par le fait qu’une grande majorité de ses membres (au nombre de 180) sont…des enfants ! Les processions de la Semaine Sainte ne sont pas l’unique raison de leur existence, loin s’en faut. Pendant toute l’année, les confréries organisent des actions caritatives. Dans le cas de La Borriquita, ce sont essentiellement des distributions d’aliments aux plus nécessiteux et des aides financières à un orphelinat et à l’ONG Cáritas.
Il m’invite à assister à la cérémonie de bénédiction de l’image que lui et ses confrères vont porter lors de la Procession du dimanche des rameaux. « Le trône, sur lequel est placée l’image que nous allons porter, pèse dans les huit-cents kilos« , explique Jesús. « Et nous serons 35 personnes à le porter, en nous relayant« . Je fais le calcul : 23 kg par tête sur un parcours qui fait plusieurs kilomètres ! Dans la nef de l’église de San Ildefonso, dans le quartier de Malasaña, trône déjà une statue en terre cuite qui représente Jésus sur son âne, flanqué de Saint- Jean l’Évangéliste. Le curé bénit ces images saintes en présence du conseil supérieur de la Confrérie (car les confréries sont très organisées, avec une hiérarchie présidée par le Frère Majeur), puis une messe est donnée. Le dimanche des rameaux, les membres de la confrérie revêtiront leurs habits de pénitents avec la fameuse capuche pointue.
C’est un spectacle que certains Madrilènes et visiteurs occasionnels ne manqueront pas, d’autres préférant s’exiler vers les plages des côtes espagnoles. Car la Semaine Sainte est aussi, pour beaucoup, une semaine de vacances qui marquent le retour imminent du printemps et des beaux jours. Quoique, selon une superstition locale, le temps se gâte toujours lors de la Semaine Sainte… Qu’à cela ne tienne ! S’il pleut, on pourra toujours se réfugier dans les restaurants pour y déguster les délicieuses traditions culinaires de Pâques. Je me rends à la Alegría de los Huerta, un petit restaurant bien accueillant du quartier de Tetuán, où la cuisinière, Isabel, a accepté de me montrer comment préparer les fameuses torrijas, une version luxe et bien espagnole de notre bon vieux pain perdu.
Isabel est une cuisinière et pâtissière d’origines andalouses avec quarante ans de métier derrière elle. La veille, elle a mis à lever un gros pain brioché qu’elle a ensuite cuit à 200 degrés pendant 20 minutes. C’est ce pain qu’elle va utiliser pour faire ses torrijas. Elle en coupe d’épaisses tranches qu’elle imprègne d’abord d’un lait qu’elle a cuit au préalable avec de la cannelle et du zeste de citron. Puis, elle enduit ces tranches d’œuf battu avant de les frire dans de l’huile très chaude. Quand les torrijas sont bien dorées, elle les passe dans un sirop qu’elle a préparé avec de l’eau, du miel et du zeste de citron. La touche finale: un saupoudrage avec du sucre aromatisé à la cannelle.
Bien entendu, les torrijas ne sont qu’une des multiples spécialités culinaires qu’on déguste pour Pâques en Espagne. Isabel prépare aussi du riz au lait, des pestiños (pâte à base de farine, frite dans de l’huile et enduite de miel), de la leche frita (un peu la même chose, mais enrichie avec du lait et saupoudré de sucre) ou le « Potage de Carême » à base de morue, épinards, œufs, chapelure, ail et persil. Heu… Au fait… On n’est pas censés faire « maigre » ?