Si le violon n’a que « récemment » fait son entrée dans la tradition musicale espagnole, il a aujourd’hui (et de plus en plus) sa place à Madrid, aussi bien au Teatro Real (l’Opéra) que dans les clubs de jazz, les tablaos flamencos et jusque dans la rue, pour des concerts improvisés ! Les rencontres avec deux passionnés de cet instrument, le luthier Laurent López et la jeune concertiste Florinda Gosselink, m’en apprendront plus sur la relation de Madrid avec le violon…
Tout a commencé avec l’interview d’un luthier français hors du commun : Laurent López. Comme son nom l’indique, il a des racines espagnoles avec lesquelles il a renoué, il y a maintenant 25 ans, en venant installer son atelier à Madrid. À l’époque, il était l’un des rares luthiers de violons à exercer à Madrid…
« Aujourd’hui, il n’y a pas plus d’une quinzaine de luthiers de violons sur Madrid et sa région, dont deux Français. C’est peu, pour une population de quelque six millions d’habitants, et compte tenu du nombre d’écoles de musique en activité « . Pour cet artisan passionné par son métier, cette rareté est due au fait que le violon ne fait pas partie de la tradition musicale espagnole et que le métier de luthier est, paradoxalement, encore méconnu des musiciens eux-mêmes : « un peu comme un médecin qui devrait expliquer, encore et encore, comment il faut se soigner… » Pourtant, quand on écoute parler Laurent López, on comprend que « l’âme du violon » est loin d’être une simple métaphore… « Un violon accumule la mémoire de ceux qui l’ont touché« , dit-il, tout en caressant les courbes de celui qu’il est en train de réparer avec minutie. « Il est vivant et terriblement humain ! La déontologie impose que le luthier fasse un travail tellement beau que même le musicien oublie que son instrument a souffert un accident« .
Pour lui, plus le luthier acquiert de l’expérience et plus un violon « lui parle », ne serait-ce que par son aspect : « il y a un dialogue qui s’établit entre nous« , affirme-t-il. De l’expérience, Laurent López en a. Il étudie d’abord à la vénérable École nationale de lutherie de Mirecourt, dans les Vosges, qui forme des apprentis luthiers depuis le XVIIème siècle. « Dans cette ambiance moyenâgeuse et immuable, j’avais l’impression d’être un privilégié« , se souvient-il. Il se perfectionnera ensuite pendant dix ans dans divers ateliers, dont un, à Bordeaux, qui lui ouvrira les portes de l’Espagne. Aujourd’hui, son atelier prend en convalescence les violons « blessés » de quelques-unes des plus grandes figures du violon moderne madrilène, tels que Raúl Marquez, virtuose du violon de jazz, et Ara Malikian, le violoniste « rocker » d’origine arménienne, qui a remporté un Grammy Latino l’année dernière.
Je suis allée les voir, l’un et l’autre, en concert à la salle Galileo Galilei, l’un des grands classiques de la nuit « jazzeuse » madrilène et qui donne toujours la bienvenue à l’avant-garde. Grâce à la multiplication de lieux comme le Galileo Galilei, la scène musicale madrilène s’est diversifiée, notamment autour du violon, avec l’incursion de cet instrument dans des genres comme le jazz, le rock ou même le flamenco. Raúl Marquez et ses amis ont notamment fondé la Swing Machine Orchestra, le premier orchestre de jazz, exclusivement composé de cordes, de Madrid. Leurs représentations, parfois spontanées et gratuites dans la rue, ont aussi lieu dans des cafés-concerts comme le Clamores ou le théâtre alternatif Teatro del Barrio, fondé par l’acteur Alberto San Juan.
Ces nouveaux genres ne renient en rien leurs bases classiques ou baroques : bien au contraire, ils se complètent. C’est du moins ce que l’on sent quand on parle avec Florinda Gosselink, une jeune concertiste qui a élu domicile à Madrid et dont les origines se divisent entre un tiers andalou, un tiers français et un tiers hollandais. Je la cueille à sa sortie du Centre Supérieur d’Enseignement Musical Katarina Gurska, fondé à Madrid, en 1985, par une musicienne et mécène slovaque. « Ce sont de bons musiciens russes et d’Europe de l’Est qui ont importé leur talent à Madrid et qui ont favorisé l’apprentissage professionnel du violon« , dit-elle. Leur enseignement a fait naître une nouvelle génération de violonistes qui sont, à leur tour, partis se former à l’étranger.
C’est le cas de Florinda qui a d’abord étudié au Conservatoire de Malaga pour aller, ensuite, poursuivre ses études à Lyon, puis à Madrid où elle vit depuis quatre ans. « Madrid est très cosmopolite et pas élitiste. Tout le monde trouve sa place, ici« . Ainsi, elle sait que les musiciens de moins de trente ans, comme elle, peuvent obtenir jusqu’à 80 % de réduction sur le prix des places « de dernière minute » au Teatro Real (l’Opéra de Madrid). Elle s’amuse de voir s’y côtoyer manteaux de fourrure et jeans « pourraves ». Aujourd’hui, Florinda joue dans les salles prestigieuses où se produisent ses artistes préférés : l’Auditorio Nacional, le Teatro Real, le Galileo Galilei, l’Académie des Beaux-Arts de San Fernando. Mais elle joue aussi dans des lieux plus atypiques ou moins connus, tels le Conservatoire Royal Supérieur de Musique de Madrid, le Centre Culturel Nicolás Salmerón ou le Musée du Romantisme. L’avantage de Madrid est que, quel que soit le budget dont on dispose, on peut toujours profiter de la bonne musique, quel que soit son genre.