Madrid accessible pour tous

Catégorie: Art & culture 10 juin 2016

Silvia Romero est l’une des guides touristiques de la Ville de Madrid à être formée pour prendre en charge des groupes de personnes avec des handicaps divers.

Madrid est l’une des premières villes d’Espagne, sinon la première, à avoir développé une offre touristique « accessible pour tous », adaptée à des publics ayant des besoins spéciaux en matière de mobilité et d’attention cognitive. Ce tourisme spécialisé permet à la capitale de convoiter une part de marché qui représente quelque 4 millions de consommateurs potentiels au niveau national. Et c’est l’occasion aussi pour ce public minoritaire d’être inclus dans l’offre de loisirs madrilène. 

Je me souviens de la fameuse phrase que nous martelait la maîtresse d’école, chaque fois que nous allions visiter un musée : « on touche avec les yeux ! » Au Musée de la Cécité de Madrid, c’est tout le contraire qui est proposé : on est invité à regarder aussi avec les mains. Fondé par la ONCE, l’Organisation espagnole des Aveugles (un organisme créé en 1938), le musée est  peu connu parce qu’excentré (dans le quartier de Cuatro Caminos), et propose des expositions d’œuvres d’artistes aveugles et malvoyants et un fonds sur l’histoire de la ONCE.

Dans le Musée de la Cécité de Madrid, on peut et on doit regarder les œuvres exposées « avec les mains ».

Je suis accueillie par Estrella, la bien sympathique gardienne du musée, qui m’explique la configuration des 1 500 m2 d’espace. La première salle abrite une collection permanente d’œuvres réalisées par des artistes handicapés. La salle est de couleurs vives, avec un éclairage spécial et des éléments architecturaux qui permettent aux personnes malvoyantes de mieux s’orienter, tout en mettant en valeur les pièces exposées, dont une série de sculptures réalisées dans des matériaux divers. On peut ainsi toucher les textures du bois brut ou poli, du bronze, de la pierre, du métal, du textile… Peut-être est-ce de l’auto-suggestion, mais il me semble qu’au travers des sujets représentés, des couleurs des peintures et des expressions de certaines figures en pierre et en bronze, les auteurs transmettent leur propre « vision », émouvante, des choses, au-delà de l’obscurité dans laquelle leur handicap les a plongé.

La salle des maquettes, où sont exposées des répliques de monuments historiques les plus importants du monde.

On passe ensuite à la salle des maquettes, où sont exposées des répliques en miniatures des monuments historiques les plus emblématiques du monde : les bas-reliefs du Parthénon, le Taj Mahal, le Colisée, le Kremlin, mais aussi l’Alhambra, la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle ou encore la Dame d’Elche. Dans la salle des expositions temporaires, l’artiste Emilio Sánchez, natif de la région de Castilla y León, est à l’honneur, avec ses sculptures organiques en granit, bois et métal. Au sous-sol, on trouve une dernière exposition qui raconte l’histoire de la ONCE, ainsi que divers instruments utilisés par les personnes aveugles pour accéder à la culture et au monde du travail (livres et machines à écrire en braille et autres systèmes de lectures et d’écriture tactiles).

La salle des expositions temporaires accueille les œuvres d’artistes comme, ici, Emilio Sánchez.

Je discute avec Tatiana Alemán Selva, la Directrice Technique de PREDIF, la Plateforme Représentative d’État des Personnes avec des Handicaps Physiques. Elle m’explique que PREDIF a collaboré avec la Ville de Madrid pour mettre en place une offre touristique spécialement conçue pour les personnes handicapées, baptisée « Madrid pour Tous ». Cette offre inclut plusieurs itinéraires pour découvrir le patrimoine de Madrid, mais aussi un Guide du Tourisme Accessible (en espagnol et en anglais) qui recense tous les établissements madrilènes présentant des Bonnes Pratiques en matière d’accueil des personnes handicapées (on peut se procurer ce guide au Centre de Tourisme de la Plaza Mayor). C’est le cas notamment de musées comme le Prado, le Reina Sofía, le Thyssen-Bornemisza ou encore le Musée Archéologique, qui sont équipés de rampes et d’ascenseurs adaptés aux fauteuils roulants, d’Audiphones, de traduction en braille, etc. « Madrid a été la première destination touristique en Espagne à miser sur le tourisme accessible« , affirme Tatiana. « C’est important d’en faire la promotion, car ce public représente une personne sur dix au niveau global et constituera 1,2% des flux touristiques d’ici 2020 » . D’après la directrice technique de PREDIF, Madrid peut encore mieux faire au niveau de l’accueil des personnes handicapées : « le réseau de Métro est l’un des mieux adaptés d’Europe, mais pas encore à 100%. Peu de restaurants sont équipés de toilettes adaptées aux fauteuils roulants et il y a encore beaucoup de préjugés sur les handicapés mentaux. Mais je dois dire que Madrid Destino est l’un des organismes de promotion touristique en Espagne qui, depuis le début, à montré la plus grande sensibilité par rapport au tourisme accessible« .

Une fois par mois, certains des itinéraires touristiques classiques de Madrid sont adaptés aux personnes handicapées.

Silvia Romero est justement l’une des guides touristiques professionnelles qui travaille pour la Ville de Madrid et qui est souvent sollicitée pour prendre en charge des groupes présentant des handicaps divers : « pour moi, c’est très facile parce que je le fais avec plaisir. Dans le cas des personnes avec des handicaps intellectuels, j’ai peut-être plus de patience pour captiver leur attention et c’est pour cela qu’on fait appel à moi« . Silvia adapte son discours à ces publics spéciaux, synthétisant l’information pour la rendre plus compréhensible et participative. Elle a déjà réalisé plusieurs itinéraires, accompagnée d’un traducteur en langue des signes, pour visiter le Retiro, Madrid Río ou encore le Madrid des Habsbourgs (le quartier médiéval).

Je cite Tatiana Alemán Selva pour le mot de la fin : « quand on parle de tourisme accessible, on ne parle pas d’un tourisme assisté, mais, au contraire, d’un tourisme inclusif« .

 

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