Le saviez-vous? Madrid fut un temps la seconde plus grosse fabrique d’azulejos d’Espagne (après Séville) . Ces carreaux de faïence vernis ornaient les palais royaux et les demeures de l’aristocratie locale, mais ils servirent aussi de réclames publicitaires pour les commerces, en particulier les fameuses “tavernes folkloriques”, jusque dans les années 1940. Que reste-t-il aujourd’hui de ce curieux patrimoine en émail ?
Indissociables de l’identité ibérique, les azulejos ont longtemps été l’un des éléments décoratifs les plus prisés à Madrid. La capitale se forgea, dès le XVIème siècle, une réputation dans ce domaine, grâce, d’abord, aux manufactures royales de Talavera de la Reina (à une centaine de kilomètres de Madrid), puis celle du Buen Retiro (fondée à Madrid par le roi Carlos III) qui fut ensuite remplacée par la Fabrique Royale de la Moncloa. Sans doute l’un des exemples les plus précieux du talent des maîtres porcelainiers madrilènes est la petite salle toute en faïence (datant du XVIIIème siècle) du Palais Royal de Madrid.
Mais hormis son usage pour l’ornement de résidences, les azulejos furent surtout utilisés dès la fin du XIXème siècle à des fins commerciales. On attribue au céramiste Enrique Guijo (né en 1871 et dont la date de décès est inconnue) le “boom” des enseignes publicitaires en céramique à Madrid, en particulier celles qui ornaient les façades de commerces (librairies, pharmacies, épiceries, etc.), l’intérieur des stations du Métro et les fameuses “tavernes folkloriques”, ces bars à vins populaires où l’on chantait et dansait le flamenco. Mais après la guerre civile, une ordonnance municipale imposa un impôt sur toutes les manifestations publicitaires extérieures et la plupart des façades en azulejos disparurent…
Cependant, si l’on en croit Adolfo Montes, il reste encore des vestiges de ce singulier patrimoine artistique dans les quartiers historiques de Madrid. Adolfo Montes est le dernier des artisans céramistes madrilènes à utiliser encore la technique ancestrale de la cuerda seca (avec l’usage de manganèse). Personne ne connaît mieux que lui l’histoire et les endroits où l’on peut encore voir des restes des anciennes façades d’azulejos. Cap justement sur la rue San Vicente Ferrer, dans le quartier de Malasaña, où sont encore visibles les réclames surannées de la Farmacia Juanse. Juste à côté, des poules et des coqs peints sur des carreaux trahissent l’existence d’une ancienne huevería (magasin d’œufs).
Un peu plus loin, arrêt à la Casa do Companeiro, une casa de comida (auberge) comme on n’en fait plus! Derrière son comptoir en zinc, Mari, la patronne galicienne, explique que, quand elle et son mari reprirent l’affaire il y a plus de quarante ans, ils ignoraient la présence sur la façade de beaux carreaux en porcelaine, dissimulés sous des couches de mauvaise peinture pour échapper à l’impôt sur les enseignes. Après de délicats travaux de restauration, les carreaux de la Casa do Companeiro ont recouvré leur bel aspect brillant d’origine.
De rares vestiges encore dans le quartier de Sol, notamment dans la travesía del Arenal, où l’on peut voir les carreaux jaunes d’une ancienne librairie. Mais c’est surtout le Villa Rosa qui reste le plus bel exemple de tablao flamenco traditionnel, avec sa façade recouverte de carreaux en porcelaine signés Alfonso Romero Mesa (en 1928) . Transformé en discothèque dans les années 1980 (il fut d’ailleurs le décor de l’une des scènes de Talons Aiguilles, de Pedro Almodóvar), le tablao flamenco a retrouvé sa fonction d’origine il y a quelques années, grâce à un jeune entrepreneur qui a aussi remis au goût du jour le concept de “taverne folklorique”. Il a d’ailleurs fait appel à Adolfo Montes pour recréer les façades de carreaux dans un style moderne, comme c’est le cas pour les bars à tapas Fatigas del Querer (calle de la Cruz), Alhambra et Venta El Buscón (Calle de la Victoria), ou encore la Fragua de Vulcano (calle Álvarez Gato).