Le « Madrid des Muses » ou « des Lettres », comme est poétiquement surnommé le quartier de Huertas, fut le lieu où cohabitèrent les plus grands écrivains de l’époque dite du Siècle d’or (à cheval entre le XVIème et le XVIIème siècle): Miguel de Cervantès, Luis de Góngora, Félix Lope de Vega, Francisco de Quevedo, Pedro Calderón de la Barca… La vie de ces illustres personnages et leurs univers littéraires respectifs ont donné à Huertas son aura intellectuelle, artistique et romantique. Balade dans un quartier aux allures d’une scène de théâtre !
Dimanche matin dans le quartier de Huertas… Au détour de la rue Cervantès, une damoiselle en robe de brocart anachronique se presse pour rejoindre deux espadachines (bretteurs) qui semblent se disputer ses faveurs en déclamant des vers à pleins poumons ! Ce sont les acteurs de la troupe Lear Producciones qui interprètent une scène inspirée de la fameuse série « Les Aventures du Capitaine Alatriste« , créée par l’écrivain madrilène Arturo Pérez-Reverte dont l’action se déroule à l’époque de l’armée espagnole des Tercios de Flandres. La ville de Madrid a ainsi mis en place des visites « théâtralisées » qui permettent de découvrir l’histoire et le patrimoine historique et culturel de la capitale en temps presque réel ! Avec ses ruelles pavées peuplées de petites échoppes croquignolettes, ses maisons étroites aux étages ornés de balcons en fer forgé et ses églises baroques, le quartier de Huertas offre un décor grandeur nature aux acteurs. Et pour cause… Dans l’échiquier de ses venelles, vécurent et sont enterrés quelques-uns des plus grands « poêtes-soldats » de l’époque dite du Siècle d’or espagnol.
Ainsi, la maison où vécut Lope de Vega a été transformée en Musée de Lope de Vega (point de départ des visites théâtralisées), qui reproduit l’intérieur d’une demeure madrilène du XVIIème siècle, avec une surprenante fidélité. La visite de ce musée est indispensable si l’on veut en savoir plus sur l’ambiance et les modes de vie à Madrid, à l’époque où la vie culturelle fleurissait dans les corrales de comedias (anciens théâtres populaires à ciel ouvert) tels que le Corral del Príncipe (le théâtre du Prince) qui est devenu, avec le temps, l’actuel Teatro Español, l’une des plus importantes et anciennes salles de théâtre de Madrid, dont la fondation remonte à 1583 !
Incontournable aussi, une visite à l’église baroque de Las Trinitarias Descalzas où les restes de Cervantès et de son épouse ont été récemment authentifiés. Par mesure de conservation, on ne peut pas les voir, mais une exposition en images sur les travaux d’exhumation et d’authentification est visible au Musée de l’Histoire de Madrid. De même, les funérailles de Lope de Vega, en 1635, celles de son père et de l’une de ses filles eurent lieu à l’église de San Sebastián, située au numéro 39 de la Calle Atocha.
Les arts, les belles-lettres et l’épicurisme sont des valeurs qui définissent encore aujourd’hui le quartier de Huertas. On y trouve quelques-unes des tabernas (bars à vins) les plus authentiques et les plus anciennes de la capitale, telle que la Casa Alberto, qui occupe le rez-de-chaussée de l’ancienne demeure de Miguel de Cervantès. Huertas est aussi le quartier des antiquaires et des bouquinistes : à ne pas manquer, une visite à la librairie Miguel Miranda, où l’on peut encore trouver des éditions exceptionnelles, avec de riches illustrations, des grands classiques, datant du début du XXème siècle ! Miguel Miranda, ancien acteur du Teatro Español, inaugura sa première librairie de livres rares en 1949. L’établissement est ensuite passé de père en fils jusqu’à aujourd’hui, conservant le charme des vieilles librairies du début de XXème siècle. Le Miguel Miranda de la seconde génération parle de Huertas avec passion. « Rendez-vous compte ! Nous nous trouvons juste en face de l’église où repose Cervantès, à côté des maisons où vécurent Quevedo, Gongora, Moratín…, à deux pas de l’Ateneo Littéraire et de l’Académie Royale d’Histoire. Il y a, ici, une indéniable atmosphère intellectuelle, une sensibilité artistique et une belle émotion pour la culture. C’est un quartier vraiment agréable à vivre ! »
Si Miguel Miranda évoque, avec un rien de nostalgie, un Huertas « au parfum de zarzuela » aujourd’hui disparu, celui des mémés qui discutaient le bout de gras en rentrant du marché et des réunions animées de maraîchers autour d’un verre de vin aigre, il apprécie aussi l’arrivée d’une nouvelle génération qui perpétue l’esprit cultivé du quartier. Avec le temps, les ruelles du quartier de Huertas ont accueilli des petites boutiques de design et de produits équitables, des restaurants cosmopolites à l’esthétique soignée et des cafés-théâtre où l’on peut écouter de la bonne musique, tels que le fameux Café Populart, Mecque du jazz à Madrid. Et comme épilogue à cette promenade dans le Quartier des Muses, citons donc à Lope de Vega: « Nulle ville que le soleil ne dore ou que la mer ne baigne, n’est aussi agréable, aussi belle et aussi accueillante que Madrid, dont la grandeur rehausse et accompagne la Cour des Césars d’Espagne« .