Qui ne se souvient pas de Pepa (interprétée par Carmen Maura), accoudée à son balcon dans Femmes au bord de la crise de nerfs de Pedro Almodóvar ? Ce n’est pas le skyline de Manhattan qu’elle regarde, mais celui de la Gran Vía, l’une des artères commerciales les plus importantes de la ville et un véritable catalogue de styles architecturaux modernistes. Aujourd’hui, je vous raconte la Gran Vía depuis ses terrasses!
Au tout début du XXème siècle, le roi Alfonso XIII inaugure les travaux de construction d’une grande avenue qui allait connecter la vieille ville aux nouveaux quartiers, s’étirant sur presque 1,5 km, de la Plaza Cibeles jusqu’à la Plaza de España. Conçue pour refléter le modernisme et la salubrité de la ville, la Gran Vía impliqua le travail d’une soixantaine d’architectes dont certains avaient voyagé aux États-Unis. Ils en étaient revenus fascinés par les gratte-ciels, ces “tours de Babylone” en béton et en acier qui symboliseraient la puissance économique et sociale de la capitale.
Démarrons donc notre visite “panoramique” sur la Plaza Cibeles, depuis la terrasse de l’ancien Palacio de Cibeles (les anciennes postes), un bel édifice blanc de 70 mètres de haut, inauguré en 1919 et transformé aujourd’hui en centre culturel et muséistique. Au sixième et dernier étage se trouvent un élégant restaurant gastronomique et la terrasse panoramique (son accès coûte deux euros par personne et est gratuit tous les premiers mercredi du mois). De là-haut, on embrasse une large vue sur le paseo del Prado à gauche et la Castellana à droite. On aperçoit aussi les premiers ensembles statuaires monumentaux en bronze qui couronnent les gratte-ciels de la Gran Vía, comme cette Victoire Ailée qui semble sur le point de prendre son envol depuis la coupole noire festonnée d’or de l’ancien siège de la compagnie d’assurances La Unión y el Fénix Español (1930).
Ce premier tronçon de la Gran Vía se distingue par son mélange de styles éclectiques d’inspiration française et de styles historicistes espagnols. Pour mieux s’en rendre compte, on se rend au Círculo de Bellas Artes (1926), une fondation culturelle dont la tour de 58 mètres de haut, est inspirée des ziggurats de Mésopotamie. Au dernier étage, on trouve l’une des meilleures terrasses de cocktails de Madrid, avec ses divans blancs et ses dais qui protègent du soleil (l’accès coûte 4 euros par personne). Au centre, une Minerve en bronze de 7 mètres de haut semble fixer, en face, la silhouette pyramidale de l’édifice de Telefónica (1929), autre édifice emblématique de la Gran Vía reconverti en galerie d’art. Avec ses 90 mètres de haut, il fut un temps le gratte-ciel le plus haut de Madrid!
Un petit creux? On remonte la Gran Vía jusqu’à la place de Callao. Au neuvième étage des grands magasins du Corte Inglés, la terrasse a été aménagée en espace gastronomique, avec des îlots d’épicerie fine et plusieurs corners de restaurants de cuisine internationale, dont le fameux Street xO du chef David Muñoz (2 étoiles Michelin). Le périmètre, resté à l’air libre, permet de s’accouder pour voir le “Broadway” de Madrid : cette partie de la Gran Vía est, en effet, occupée par les théâtres de music-hall et de variétés aux façades recouvertes de grandes affiches annonçant les spectacles. Il y a encore quelques années, elles étaient peintes à la main! On aperçoit aussi deux des édifices les plus emblématiques de la Gran Vía: le Palacio de la Prensa (1928) tout en brique, inspirée de l’architecture de Chicago (d’abord le siège de plusieurs journaux, il est aujourd’hui un complexe de salles de cinéma) et l’édifice Carrión, en forme de paquebot, immortalisé par un néon publicitaire de la marque “Schweppes”.
Dernière ligne droite : on termine sur la Plaza de España où s’élève l’édifice España (1953) de 117 mètres de haut! Ce bloc austère, aux lignes ultra symétriques, fut, en son temps, un symbole de l’avant-garde architecturale de Madrid. Fermé depuis dix ans, il a récemment été racheté par un millionnaire chinois qui a promis d’en faire un hôtel de luxe.